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Politique
La PAC fête son 50ème anniversaire : pensez-vous qu'elle a pénalisé votre exploitation ?

Le Paysan Tarnais a voulu savoir comment les 50 années de la PAC avaient été vécues sur le terrain. Malgré les bonnes intentions de Bruxelles, les agriculteurs ont dû faire preuve d'adaptations pour survivre à la mondialisation agricole. Et vous ? Qu'en pensez-vous ?

© Le Paysan Tarnais

Pour illustrer les 50 ans de la politique agricole commune, le Paysan Tarnais s’est rendu chez trois familles installées depuis plusieurs générations sur leurs fermes :

-          les Albert, à Sorèze ;

-          les Vernhères, à Roquemaure ;

-          les Bardou, à Rayssac.

De ces trois histoires, de grands traits communs se dégagent. La PAC a bien-entendu permis le développement de ces exploitations, entre les années 70 et 2000. Mais tous les dispositifs qui avaient initialement pour mission de soutenir les prix des produits et protéger ainsi les agriculteurs européens des différences de coûts de production à travers le monde n’ont pas été vécus comme tels. Et vous, qu'en pensez-vous ?

Les grandes étapes de la PAC vécues par 3 exploitations tarnaises :

- L’après-guerre, l’avant PAC

- Les années 70, les premiers investissements

- 80 / 90 : les quotas laitiers et les aides PAC à la production

- 2003, découplage et conditionnalité des aides

- Perspectives



L’après-guerre, l’avant PAC


Dans les années 50/60, toutes les fermes avaient globalement la même structure. Quelques terres, quelques vaches, quelques brebis dans la Montagne, un peu de vigne… La vie était difficile, avec beaucoup de travail, mais peu de besoins. «Mon grand-père, Marcel Auriol, vendait ses veaux sur le marché de Revel» se souvient Bernard Albert, éleveur laitier à Sorèze. «Il possédait une dizaine de vaches et louait une douzaine d’hectares. Mon père, Henri Albert, s’occupait d’une autre ferme, avec quelques agneaux et travaillait au bois l’hiver.»

A Roquemaure, chez les Vernhères, la ferme a été achetée dans les années 40. «Mon père et ma mère, Jean et Elise, avaient quelques vaches laitières et de la vigne» explique Pierre Vernhères. «Ils faisaient leur vin à la ferme.» Chez les Bardou, à Rayssac, Rémi et Paule, exploitent 60 ha en fermage. Ils produisent du lait de brebis pour Roquefort et des veaux. «On produisait 10 litres par jour, on le portait sur le dos jusqu’à La Tibarié où la laiterie transformait notre lait et amenait ensuite les fromages à Roquefort pour l’affinage. On amenait les veaux au marché de Saint-Pierre-de-Trivisy.»


Les années 70, les premiers investissements

La PAC, avec ses mesures de soutien des prix et de subventionnement, et notamment la préférence communautaire, garantie des prix minimum aux produits agricoles. Avec cette sécurisation des marchés, elle participe à l’accroissement de la productivité de l’agriculture. Grâce à la PAC, les agriculteurs bénéficiaient également d’aides financières (subventions aux investissements (équipements, bâtiments…) pour la restructuration et l’agrandissement des exploitations. Parallèlement, évolution démographique oblige, beaucoup de fermes se vendent dans ces années là. Pour nos trois fermes tarnaises, comme pour beaucoup d’autres, ces propositions de foncier sont l’opportunité de développer l’exploitation et de sécuriser l’installation d’un successeur. Mais toutes ces évolutions se font au prix de gros efforts humains et financiers.


«A mon installation, nous avons acheté des vaches, un tracteur et du matériel. Tout de suite après, le propriétaire a voulu vendre les terres que nous travaillions. La banque nous a prêté l’argent alors que nous n’avions plus rien sur les comptes !» explique Michel Bardou. «C’est sûr qu’il a fallu tout compter, économiser tout ce qui était possible. La situation a été très tendue financièrement pendant une quinzaine d’années ! Mais la conception de la vie était différente. On était moins stressés.»


Chez les Albert, les années 70 ont aussi été marquées par des reprises de fermages et de l’achat de foncier. «La production laitière a démarré avec la reprise d’une ferme voisine qui avait un troupeau laitier. Juste avant mon installation, mon père a eu l’opportunité d’acheter une trentaine d’hectares. Nous avons alors décidé de tout miser sur le lait, avec un objectif de 50 vaches. Parallèlement, il a fallu lancer l’irrigation, parce qu’il fallait nourrir ces animaux ! C’était aussi l’arrivée des intrants, des machines… Cela a représenté beaucoup d’investissements, de gros emprunts, mais cela nous a permis d’améliorer considérablement nos conditions de travail !»

«A mon installation», se souvient Pierre Vernhères, «l’exploitation comptait une centaine d’hectares, une trentaine de vaches laitières et 7 hectares de vigne dont le raisin était livré à la coopérative de Rabastens. Par goût, nous avons reconverti le troupeau en bovins viande. Je suis rapidement monté à une cinquantaine de mères Blondes d’Aquitaine. Je produisais du broutard qui partait pour l’Italie. J’ai réduit progressivement les surfaces en vigne. Mes parents prenant de l’âge et étant tout seul sur la ferme, je ne pouvais pas tout faire !»


80 / 90 : les quotas laitiers et les aides PAC à la production

La PAC atteint rapidement ses objectifs initiaux, mais elle est aussi victime de son succès. Des surproductions structurelles apparaissent (lait, viande bovine…) avec un coût de plus en plus important des mécanismes d’intervention (en particulier stockage et liquidation des excédents). La part du budget PAC représente près des trois quarts du budget global de l’Europe. Il a donc fallu contrôler la production. En 1984, les quotas laitiers sont mis en place pour limiter et stabiliser la production laitière. Même si la mesure avait pour but d’éviter l’effondrement des cours du lait, elle n’est pas très bien accueillie sur les fermes. «On a vécu cela comme un véritable coup de frein donné à notre production» se souvient Bernard Albert. «On avait l’impression d’être muselés, on voyait mal comment on allait pouvoir continuer à investir. Avec un peu de recul, on se rend compte que cela a quand-même permis de tenir les prix. Même s’il y avait beaucoup de travail et qu’on ne partait pas en vacances, ou très peu, on vivait correctement sur nos fermes à taille humaine. On n’avait pas à se remettre en question tous les jours. On avait une sécurité qu’on ne perçoit plus aujourd’hui et qui n’existera plus.»

En 1992, la politique de soutien de la PAC est réorientée, avec la volonté de rapprocher les prix garantis du niveau des cours mondiaux. Une bonne anticipation puisqu’à partir de 1995 débute la mise en œuvre de l'Accord sur l'agriculture de l'OMC. Négocié dans le cadre du Cycle d'Uruguay entre 1986 et 1994, cet accord a pour but d'améliorer l'accès aux marchés et de réduire les subventions qui ont des effets de distorsion des échanges dans le secteur agricole. Les aides directes au revenu proposées par la PAC ont alors pour objectif de compenser la baisse des prix garantis. Mais voilà, sur le terrain, l’incompréhension est grande. Comme pour les quotas laitiers, ce qui était voulu comme un soutien aux producteurs est en fait perçu comme un asservissement.
«J’étais complètement contre l’apparition des primes, j’ai d’ailleurs pas mal manifesté à l’époque» explique Pierre Vernhères. «On perdait notre liberté d’entreprendre, notre savoir-faire, on devenait des assistés. On voulait être payés au travail effectué ! Aujourd’hui, je suis toujours contre ce système de primes. Et c’est malheureux de voir que nous en avons besoin pour pouvoir vivre !» A Rayssac, on souligne les effets pervers du système. Pour Yannick Bardou, la PAC n’a pas rempli ses objectifs. «Cela a poussé à toujours produire plus, plus de vaches, plus de terres, plus d’équipements… Maintenant, on a des grosses exploitations performantes mais fragiles ! Et au passage, on a fait mourir un grand nombre d’exploitations, on a exclu tous les petits. Avec de lourdes conséquences pour nos campagnes. Ici, à l’époque, 18 enfants partaient à l’école le matin. L’école est fermée aujourd’hui!»


2003, découplage et conditionnalité des aides

La dernière réforme de la PAC est toujours en cours. Deux nouveaux dispositifs sont mis en place de manière échelonnée, depuis 2003 et jusqu’en 2013 :

- le découplage des aides avec l’apparition du droit à paiement unique (DPU) ;

- le principe de conditionnalité du versement des aides PAC au respect d’un certain nombre de bonnes pratiques agricoles.

Dans les fermes, ces nouveautés font déborder la coupe, déjà bien pleine. Les DPU, qui dans l’idée venaient sécuriser la forte volatilité des prix, sont perçus comme une chose peu équitable. «Encore une fois, on n’incite pas au travail et on laisse, encore une fois, beaucoup de monde sur le bord de la route» réagit Yannick Bardou. «Beaucoup d’élevages ont été arrêtés suite à cette mesure.»
Quant à la conditionnalité des aides, beaucoup d’agriculteurs avaient déjà intégrés les pratiques exigées dans leur fonctionnement. Mais le fait qu’elles deviennent obligatoires change beaucoup de choses : de nombreux points sont désormais contrôlables et peuvent aboutir, le cas échéant, à des pénalités et des amendes. Un climat de suspicion plane désormais autour du métier d’agriculteur. «Le plus dur à vivre, c’est qu’on nous traite comme des magouilleurs» explique Michel Bardou. «Bien-sûr que c’est normal qu’il y ait des règles et qu’on ait à les respecter. Mais on ne perçoit aucune logique, aucune compréhension dans les contrôles et les sanctions qui peuvent en découler. On nous traite comme fautifs dès le départ.» De manière générale, une chose exaspère Pierre Vernhères, «c’est de se faire expliquer comment faire notre métier par des bureaucrates qui n’ont aucune notion des réalités du terrain. Même si ça s’est plutôt amélioré ces dernières années, les lourdeurs administratives plombent le métier.»

Perspectives

Bilan plus que mitigé donc, de ces cinquante années passées. Et ce n’est guère mieux quand on regarde devant. Pour tous, l’arrêt des aides PAC, c’est l’arrêt de l’agriculture. Tous se disent prêts à mettre la clé sous la porte. Du coup, personne ne veut trop envisager cette perspective. Pour autant, il va falloir arriver à tirer son épingle du jeu dans des marchés globalisés et sujets à de fortes fluctuations. Entre inquiétudes et espoirs, pères et fils dessinent un avenir plutôt flou pour l’agriculture. Avec cette PAC qui ne cesse de se réformer et qui abandonne tous ses filets de sécurité sur les marchés, les agriculteurs sont à nouveau confrontés à la réalité de la concurrence mondiale.

Chez les Albert, ce sont les perspectives de la filière laitière qui sont bien-sûr en question. Bernard a du mal à croire à l’arrêt des quotas laitiers. «Par contre, je pense que la restructuration de la filière va se poursuivre. La seule chose qui me rassure c’est qu’ici, à Sorèze, nous sommes dans un petit bassin laitier bien situé, avec une population qui va en augmentant. Notre ferme est à proximité d’autres structures solides, avec pas mal de jeunes et une solidarité et une entraide qui sécurisent et stimulent.»

Pour Guillaume Albert, l’arrêt des quotas laitiers ne changerait de toute façon pas grand-chose. «On nous donne des quotas tant qu’on en veut ! Aujourd’hui, nous n’avons pas encore réussi à produire notre référence. Demain, je pense que c’est le prix du lait qui fera les volumes. La clé pour s’en sortir, ce sera d’être autonome au maximum. Si on intensifie trop, on devient trop dépendant !»

A Rayssac, les deux fils de Michel, Yannick et Florian Bardou, sont désormais installés. «Et j’en suis soulagé» explique Michel. «Ce qui nous fait tenir aujourd’hui c’est la solidarité familiale. C’est bien qu’ils soient tous les deux, pour leurs conditions de travail, leur qualité de vie et pour faire face à l’avenir aussi.» Les fils, eux, attendent de voir un peu… Eleveurs passionnés, ils s’investissent beaucoup dans la vente directe et la génétique pour aller toujours plus loin dans leur métier. Et avoir des retours valorisants ! Une chose est sûre : ils préfèreraient travailler autrement, avec moins d’animaux et un suivi du troupeau plus soigné. «Aujourd’hui, on est contraints de produire pour rembourser !»


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