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Pac 2023 : un « droit à l’erreur » venu du ciel
En vigueur à partir du printemps, la Pac 2023-2027 sera celle de la mise en œuvre du Système de suivi des surfaces en temps réel (3STR). Un nouveau dispositif piloté par satellite, qui doit permettre de supprimer une partie des contrôles sur place.
En vigueur à partir du printemps, la Pac 2023-2027 sera celle de la mise en œuvre du Système de suivi des surfaces en temps réel (3STR). Un nouveau dispositif piloté par satellite, qui doit permettre de supprimer une partie des contrôles sur place.
Piloté par satellite, le 3STR, imaginé par la Commission européenne et mis en œuvre en France par l’Agence de service et de paiement (ASP), va permettre de supprimer une partie des contrôles sur place, réalisés chaque année sur un échantillon de 5 % d’agriculteurs. À cela s’ajoutera un « droit à l’erreur » pour l’ensemble des aides surfaciques. Une évolution notamment permise par les progrès de l’imagerie satellite, dont les prix et la fréquence ont franchi un cap dans les années 2010 permettant leur démocratisation. Le système 3STR ne sera mis en œuvre que sur une partie des aides, d’abord sur les paiements de base et l’ICHN en 2023, puis sur l’ensemble des aides surfaciques contrôlables par satellite en 2024. Beaucoup de critères dits « non monitorables » resteront contrôlés in situ, comme le taux de chargement ou l’autoconsommation des céréales et dès lors exclus du « droit à l’erreur ». Le ciel ne peut pas tout.
Des satellites pour contrôler les agriculteurs ?
Au départ, l’industrie spatiale était contre. C’était la fin des années quatre-vingt, le Cnes (Centre national d’études spatiales) cherchait des débouchés à l’imagerie spatiale dans le secteur agricole, qu’il démarchait depuis quelques années. Il en trouvera finalement grâce à la réforme de la Pac de 92, et la montée en puissance des aides à la surface. Le satellite devient alors, avec l’avion, le moyen de contrôle le plus adapté. Comme la Nasa l’avait fait pour ses satellites Landsat dans les années 70, le Cnes cherchait des usages pour son futur satellite Spot, dédié à l’observation de la Terre. En quête de légitimité, l’industrie de l’imagerie spatiale devait trouver d’autres missions que le militaire ou la recherche, raconte Sylvain Brunier, chercheur au CNRS dans une note parue cet été aux Études rurales. « Historiquement, dans le secteur privé, ce sont les pétroliers qui s’étaient saisis les premiers de l’imagerie spatiale », retrace Damien Lepoutre. Mais leur usage du satellite a été éphémère, car la géologie de la Terre ne change pas, contrairement aux sols, à l’eau, aux champs, aux forêts. Comme la Nasa avant lui, le Cnes voit dans l’agriculture une piste de développement évidente, par sa surface et sa variabilité. D’autant que certains grands pays agricoles, comme la Chine et la Russie, sont encore fermés, et que les informations qui en sortent sont rares. Mais le marché agricole de l’imagerie satellite sera plus compliqué que prévu. « Les surfaces sont immenses, mais la valeur ajoutée à l’hectare est très faible comparée à d’autres secteurs », explique Damien Lepoutre, qui fondera l’une des premières sociétés de service agricole autour de l’imagerie satellite, Geosys.
Le tournant de la Pac de 92
C’est finalement le tournant de la Pac de 92, et l’essor des aides compensatoires à l’hectare, qui va vraiment porter les usages agricoles de l’imagerie spatiale. Au départ, « le Cnes et le centre de recherche en télédétection de la Commission européenne n’en voulaient pas, pour ne pas donner une mauvaise image du spatial », raconte Damien Lepoutre, pionnier de l’imagerie spatiale en agriculture, aujourd’hui consultant. Après des démonstrations de la DG Agri conduites avec le groupe SGS, les craintes seront finalement levées. Dès la fin des années quatre-vingt, Bruxelles avait voulu créer ses propres méthodes de contrôle, pour ne pas dépendre de celles des États membres, et veiller à une bonne application des règles européennes, à distance ; des fraudes avaient ainsi pu être décelées en Italie et en Grèce, sur du blé dur, culture qui bénéficiait déjà d’aides à la surface avant la nouvelle Pac. Avec la Pac de 1992, la commande publique d’images satellite va croissant, à Bruxelles et dans les États membres. Encore aujourd’hui, la Commission européenne anime un vaste marché de commande publique d’imagerie satellitaire agricole. Toutefois, une partie significative de l’imagerie aérienne agricole échappe encore au satellite dans les États membres ; l’avion y garde de vrais atouts (voir encadré). Trente ans après 1992, le Cnes n’est toujours pas très bavard quand il faut parler de contrôle des aides Pac. « Bien sûr que nous pouvons faire du contrôle, mais nous voulons communiquer sur l’aide à la transition écologique », insiste Thierry Chapuis, référent agriculture du programme Connect du Cnes. Et pour cause, le contrôle de la Pac par satellite a encore mauvaise presse. Il intervient principalement en appui de contrôles sur place, assortis de la menace de sanctions. Un principe peu vendeur chez les agriculteurs. Mais c’est en train de changer.
Moins précis, mais généralisé
Avec la programmation 2023-2027 de la Pac, la France va mettre en œuvre le système de suivi des surfaces en temps réel (3STR) et le « droit à l’erreur ». Imaginé par la Commission européenne et mis en œuvre par l’Agence de services et de paiement (ASP), ce dispositif doit faire basculer peu à peu le contrôle des aides Pac dans une logique de dialogue avec les bénéficiaires, modifiant la logique habituelle des contrôles. Aujourd’hui, pour assurer la conformité des aides Pac, l’État contrôle déjà l’ensemble des dossiers des agriculteurs, mais sur la base de données aériennes, parfois vieilles de trois ans. Pour appuyer ce contrôle, 5 % des agriculteurs sont choisis chaque année pour des contrôles sur place. Seulement 5 %, car le dispositif est coûteux : déplacements sur le terrain et achat de données satellite de précision. Rare, il est donc aléatoire et assorti de sanctions. Pas de droit à l’erreur. Grâce au lancement de la constellation Copernicus, qui offre des images gratuites très fréquentes, et aux progrès de l’analyse d’image automatique, l’administration va procéder différemment à partir de 2023. Elle peut désormais contrôler les surfaces de tous les bénéficiaires au cours de la campagne, avec des images de l’année, ce qui va lui permettre de contrôler de nouveaux critères, comme la présence de couverts, ou des opérations culturales comme la fauche ou la récolte. Et de faire disparaître les contrôles sur place pour les critères pilotables à distance. Une évolution permise notamment par les lancements des satellites Sentinel depuis 2014, dont les services gratuits irriguent déjà de nombreux logiciels agricoles privés. Alors qu’elle utilisait de l’imagerie locale de très haute résolution (50 cm à 1 m) pour appuyer les contrôles in situ, l’administration recourt ici à des prises de vues moins précises (20 m/20 m), mais très régulières (tous les 3 à 5 jours) et disponibles sur l’ensemble du territoire.
Mise en place progressive
La mise en place du 3STR sera toutefois très progressive. À partir de 2023, ce contrôle en continu s’appliquera aux droits à paiement de base (DPB) et à l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN). Puis, à partir de 2024, ce sont toutes les aides surfaciques qui doivent y être sujettes, comprenant les aides couplées végétales, les éco-régimes et les mesures agroenvironnementales (Maec). Et tous les critères d’éligibilité à ces aides ne pourront pas être contrôlés par satellite. « Il y a des critères qui ne sont pas monitorables », avertit Véronique Lemaire-Curtino, directrice des soutiens directs à l’Agence de services et de paiement (ASP). Par exemple, le taux de chargement en animaux ne peut évidemment pas être mesuré depuis l’espace. Pour l’ICHN, ce critère continuera donc de faire l’objet de contrôles sur place (sur des échantillons de déclarants). Le 3STR n’est pas la seule amélioration de la Pac 2023 en matière de contrôle. Il ira de pair avec la mise en place d’un « droit à l’erreur » pour les critères qui peuvent être contrôlés à distance. « À la suite de la déclaration de l’agriculteur au printemps, l’administration lui répond en lui montrant ce qu’elle voit, elle, détaille Véronique Lemaire-Curtino. L’agriculteur peut alors dire s’il s’aligne ou non avec ce que voit l’administration. »
Sanction si désaccord
Ce principe du « droit à l’erreur » ne s’appliquera pas aux contrôles sur place de critères non-monitorables à distance (p.ex. taux de chargement). Pour ces critères, l’ancien pilotage de conformité des aides va perdurer : échantillonnage de 5 % des agriculteurs, contrôle sur place, sanction. Ce principe de « droit à l’erreur » et de dialogue avec l’administration ne s’appliquera pas seulement aux aides contrôlées par satellite, mais à l’ensemble des aides surfaciques. Il sera par exemple en vigueur dans les déclarations des infrastructures agroécologiques (IAE), monitorées par de l’imagerie aérienne (avion) et qui seront l’une des voies d’accès aux éco-régimes. « Ce n’est plus du contrôle, mais de l’aide, commente Damien Lepoutre, satisfait de l’évolution de l’usage des images satellites. On est passés d’un échantillon de quelques zones à un système d’aide à la déclaration interactif. » « Dans l’esprit, un dialogue s’instaure, abonde Véronique Lemaire-Curtino. Et il n’y aura sanction que si l’agriculteur et l’administration maintiennent des positions différentes. » Une application mobile lui permet d’ailleurs d’envoyer des photos géolocalisées permettant de transmettre sa vision des parcelles.