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Dossier bio : «Je veux me servir du végétal pour aider le végétal»

Robert Batigne est producteur de grandes cultures à Garrevaques près de Revel. Sa conversion en bio est récente. Il revient sur ses motivations et explique les leviers agronomiques mobilisés pour conduite ses cultures en bio.

“Une grande partie de mon revenu est réalisé avec le soja, que je peux irriguer et qui représente entre 1/3 et la moitié de mon assolement selon les années.”
“Une grande partie de mon revenu est réalisé avec le soja, que je peux irriguer et qui représente entre 1/3 et la moitié de mon assolement selon les années.”
© Le Paysan Tarnais

Robert Batigne a démarré la conversion de son exploitation à l’agriculture biologique en mai 2010. Producteur de grandes cultures et de semences sur 60 ha de SAU (dont la moitié irrigable), il voulait sortir d’un système qu’il trouvait trop industriel. «Pour moi, l’agriculture doit rester artisanale. J’en avais marre d’avoir toujours cette énorme pression sur les revenus, ce manque de perspectives, je trouvais l’ambiance toujours morose. J’avais de plus en plus de mal avec tous ces produits chimiques. La bio s’est imposée petit à petit. Je suis allé rencontrer des producteurs bio en grandes cultures. Ils avaient tous le sourire. J’ai fait quelques calculs rapides. Les aides à la conversion et les économies d’intrants me semblaient pouvoir couvrir largement les baisses de rendement. Je me suis lancé et j’ai retrouvé de la liberté, si chère à notre métier.»

Avec 5 ans de recul, Robert Batigne ne le cache pas, sa situation financière est toujours confortable. «Je gagne même mieux ma vie qu’avant, avec un système qui était très axé sur les semences. Même sans les aides à la conversion ou au maintien, je vais continuer en bio et j’en vivrai ! Une grande partie de mon revenu est réalisé avec le soja, que je peux irriguer et qui représente entre 1/3 et la moitié de mon assolement selon les années. Je travaille uniquement avec la coopérative Agribio Union. Avant j’étais tous les matins sur internet pour surveiller les cours des céréales. Aujourd’hui, je n’ai plus du tout l’impression de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de moi. On est régulièrement en contact et les prix proposés me conviennent. Pour l’instant, ils varient très peu, nous sommes déconnectés des fluctuations des cours mondiaux. Pour moi, l’important surtout, c’est que nous soyons dans une relation de confiance. Et c’est ce que j’ai trouvé dans le bio. Avec le technicien de la coopérative, nous ne sommes pas dans des discussions commerciales mais sur des réflexions agronomiques. J’essaie beaucoup de choses, je cherche en permanence… Cela redonne vraiment du sens à mon métier!»

Légumineuses : des restitutions variables de l’azote

Au passage en bio, il a bien-sûr fallu revoir tous les itinéraires techniques. «Mon objectif principal est d’arriver à me servir du végétal pour aider le végétal. Déjà pour fixer l’azote. J’ai donc commencé par travailler l’assolement. Je suis passé d’un système blé dur et semences à un assolement diversifié, incorporant beaucoup de légumineuses. Sur 5 campagnes, je mets trois fois du soja, et entre, un blé, un pois ou des lentilles. Attention, selon la légumineuse, la période de restitution de l’azote n’est pas la même ! Derrière un soja, la minéralisation ne se fait que tardivement, en mai. Pour la fertilisation d’un blé, cela est souvent insuffisant. Désormais, je fais au moins deux sojas l’un derrière l’autre puis un pois avant de semer un blé pour être sûr d’avoir un reliquat élevé d’azote dans le sol. Le pois qui a des tiges moins fibreuses et qui restitue l’azote bien plus vite dans la saison. On peut aussi griffer le sol, avec une herse étrille par exemple, ça permet de le réchauffer et de remettre un coup à la minéralisation de l’humus. J’ai également essayé de mettre des bouchons d’azote organique au semis de blé en 2015. On n’est pas encore à la récolte, mais il semble que cela a bien fonctionné.»

Qualité du semis et couverture du sol : 2 leviers contre les adventices

En ce qui concerne la gestion des mauvaises herbes, de nombreuses solutions mécaniques existent. Là encore, Robert Batigne préfère travailler le plus possible avec le végétal. «La première clé, c’est d’avoir une culture principale bien en place, le plus tôt possible, pour que les autres espèces ne viennent pas la concurrencer. Bien semer, c’est bien récolter ! Déjà quand j’étais en conventionnel, c’était une étape à laquelle j’apportais beaucoup de soins. Cela a été un point fort pour démarrer en agriculture biologique. Depuis 2 ans, j’ai arrêté le labour. C’est une difficulté supplémentaire pour la gestion des mauvaises herbes. Du coup, j’expérimente des itinéraires techniques qui me permettent de couvrir le sol le plus longtemps possible dans l’année. Le petit épeautre est par exemple une culture avec un cycle très long, 10 mois environ, c’est très intéressant. J’ai semé du sarrasin dans un pois protéagineux pour ne le récolter qu’en octobre. J’ai aussi testé le semis de trèfle dans du blé au stade «début redressement». Quand on aura moissonné le blé, le trèfle sera déjà bien en place. Cela limitera le développement des mauvaises herbes et produira de la matière.»

En parallèle, le producteur utilise des outils tels que le scalpeur, son outil de prédilection, afin de bien préparer les semis et accentuer le décalage de développement entre la culture commerciale et les adventices. «C’est un outil à dents avec des ailettes à l’extrémité, qui permettent de scalper toute la surface à 5 cm de profondeur. Après les récoltes, je fais un premier passage dans les chaumes de blé, soja ou pois. En coupant toutes les racines, les herbes en place sont détruites, notamment les vivaces qui sont les plus problématiques. Cela présente également l’avantage de réaliser de la terre fine et de faire germer une bonne partie du stock semencier de mauvaises herbes. Le plus compliqué, c’est vraiment le salissement des sols nus avant semis, que ce soit à l’entrée ou en sortie d’hiver. Des fois, j’ai dû passer le vibroculteur même si cela ne me plaisait pas pour le sol… Après c’est une histoire de compromis ! Dans les cultures, je passe la herse étrille quand le blé est au stade 3 feuilles. Pour les autres cultures, soja, pois, etc…, j’utilise beaucoup la bineuse. Le 1er passage se fait au stade plantule, le dernier à la fermeture des rangs.»

Rechercher l’optimum et non pas le maximum

La protection des cultures contre les ravageurs et les maladies peut aussi se gérer par le végétal : la résistance variétale se travaille en premier par la rotation. «Mais il ne faut pas avoir peur d’arrêter de des variétés que l’on a semées pendant des années ! Pour le soja par exemple, il y a un ennemi terrible : c’est le sclerotinia. Déjà, il faut partir sur des variétés résistantes. Et puis, il faut faire attention à ne pas favoriser le champignon par des conduites culturales inadaptées. J’ai appris par exemple qu’il ne fallait pas arroser trop tôt ni trop souvent pour éviter son développement. Pousser l’irrigation pour essayer de gagner 3 quintaux / hectares, c’est une prise de risque considérable. En bio, il faut apprendre à ne plus rechercher le maximum à tout prix, mais l’optimum. Des fois, il faut même savoir faire le compromis d’une culture moyen-ne mais qui va, à court ou moyen terme, apporter du bénéfice à une autre. Finalement, comme on n’a pas de parachute et des fois pas le choix, on se libère de plein de choses, on se laisse le droit à l’erreur !»

Bio ou conventionnel, agriculteur avant tout !

Pas de doute en tout cas, Robert Batigne est enchanté par la conversion à l’agriculture biologique. «C’est fabuleux le métier que je fais ! Ceci dit, je suis conscient que se convertir à l’agriculture biologique reste une démarche très personnelle. Moi je l’ai fait dans un certain contexte, personnel et professionnel. Mais je respecte tout le monde : chaque exploitation est différente, chaque agriculteur est différent. Nous avons tous le même support : le sol et le vivant ! Je suis même assez optimiste : je trouve que l’agriculture évolue vite et dans le bon sens. Nous faisons toujours plus d’efforts pour que nos actions aient le moins d’impact possible sur notre environnement. Nous prenons conscience de notre responsabilité en la matière. L'agriculture biologique peut contribuer à nous y aider, mais nous ne devons pas être seuls dans cette démarche. Si on est capable d’aller sur la lune, on doit être capable de nous proposer des intrants naturels et non destructeurs de l’utilisateur et de son environnement. Alors, gardons les pieds sur terre !»

S. Lenoble

 

Retrouvez l'intégralité du dossier dans l'édition papier et l'édition en ligne

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